Passons à la loupe les carburants synthétiques. Sont-ils respectueux de l’environnement et disponibles sans limite? Remplaceront-ils bientôt les carburants fossiles? Alors que nous sommes encore loin d’avoir trouvé la solution aux problèmes causés par les émissions de CO2, un lot d’inconvénients semble accompagner chaque innovation intéressante. Le point sur les carburants de synthèse avec un expert.
Il est urgent d’agir en matière de mobilité et de trouver une solution. Imaginez, en 2020, les transports (trafic aérien exclu!) représentaient 39 % des émissions de CO2 en Suisse. Nous avons besoin d’alternatives durables aux combustibles fossiles pour diminuer les émissions de CO2 liées aux transports. Est-ce que les carburants de synthèse (e-fuels) remplaceront les carburants fossiles de manière (presque) neutre pour le climat? Pour y répondre nous avons interrogé Christian Bach, Chef de service des systèmes de propulsion des véhicules à L’Empa. L’Empa ou Eidgenössische Materialprüfungs- und Forschungsanstalt est un institut interdisciplinaire de recherche pour les sciences des matériaux et le développement de technologies. Autrement dit, l’Empa cherche des solutions novatrices pour relever les défis de l’industrie suisse et développer durablement notre société. Plus précisément, le projet ‘Move’ dirigé par Christian Bach cherche des solutions pour contribuer à l’objectif de zéro net d’ici à 2050 du Conseil Fédéral. (Informations au sujet du projet’ Move’ disponibles en allemand et anglais).
Dans cet article, Bach répond à nos questions, par exemple: les carburants de synthèses peuvent-ils résoudre les problèmes liés aux combustibles fossiles? Quels sont leurs avantages et leurs inconvénients?
C’est quoi les carburants de synthèse (e-fuel)?
Lorsque l’on parle de e-fuels, e-carburants ou carburants synthétiques on désigne des carburants produits en utilisant des énergies renouvelables comme l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique. Le « matériau de base » du carburant de synthèse est l’eau, qui est transformée en hydrogène par électrolyse. Si cet hydrogène est ensuite traité en y ajoutant du CO2, on obtient des carburants dits ‘synthétiques’.
Quels sont les avantages des carburants synthétiques? Les carburants de synthèse sont neutres pour le climat (en cas d’utilisation d’électricité renouvelable) et sans origine minérale, au contraire des carburants ‘traditionnels’ (essence, diesel) produits à partir de combustibles fossiles. Autrement dit, les carburants de synthèse sont inépuisables.
Comment les carburants synthétiques (e-fuels) sont-ils produits?
La production des carburants de synthèse est un processus complexe appelé power-to-liquid (PtL). La plupart des carburants synthétiques utilisent l’hydrogène comme base énergétique. On produit l’hydrogène de manière renouvelable dans des régions désertiques ou des installations offshore, au moyen d’électricité provenant de sources renouvelables comme de l’énergie solaire ou des éoliennes. On transforme ensuite l’hydrogène avec du CO2 de l’atmosphère dans un processus de synthèse en une sorte d’essence synthétique, de diesel synthétique ou de kérosène synthétique. Ce processus capte le CO2 de l’atmosphère, nuisible au climat, et le réutilise de manière judicieuse. L’électricité renouvelable peut ainsi être rendue « durable » – c’est-à-dire stockable.
Qu’en est-il des émissions qu’une voiture émet en roulant? La réponse est claire : seule la quantité de CO2 prélevée dans l’atmosphère pour la production des carburants de synthèse est émise. Autrement dit, les carburants de synthèse garantissent le respect d’un cycle climatiquement neutre. Christian Bach explique que l’expression « climatiquement neutre » doit toutefois être utilisée avec prudence: « Si de l’électricité non renouvelable est utilisée pour produire des carburants de synthèse, cela entraîne une augmentation des émissions de CO2. Dans ce cas, les carburants synthétiques n’ont pas de sens. Mais si leur production s’appuie sur de l’électricité renouvelable qui ne peut pas être utilisée directement, les carburants de synthèse permettent de réduire les émissions de CO2 de 80 à 90 % par rapport à l’utilisation de combustibles fossiles ».
Les carburants synthétiques sont-ils utilisables au quotidien?
Aujourd’hui, on utilise des combustibles fossiles, de l’essence ou du diesel, plutôt que des carburants synthétiques. Monsieur et Madame tout-le-monde ne peuvent pas se rendre à une station service pour y acheter du carburant de synthèse. Pourquoi est-ce que c’est pas encore possible? Parce que la production de carburant de synthèse vient tout juste de débuter. Des indices suggèrent que ces ‘e-carburants’ pourraient être prometteurs, mais le chemin est encore long. Leur production est complexe et hors de prix, ce qui représente évidemment un frein à une commercialisation à large échelle.
Pour rendre les carburants synthétiques compétitifs, il s’agit donc de faire évoluer leur production pour en réduire les coûts. Pour y arriver, il faut des investissements supplémentaires. Notons également que la consommation d’énergie lors de la production, la consommation et le transport est considérable – ce qui génère des émissions de CO2. Il est est judicieux d’évaluer toutes nos options pour réduire les émissions des combustibles fossiles dûes aux transports.
Carburants synthétiques versus combustibles fossiles
Vous trouverez ci-dessous vous présente les principales différences entre les carburants de synthèse et les combustibles fossiles.
- Durabilité
Si on utilise uniquement des énergies renouvelables, la production de carburants de synthèse génère une empreinte carbone beaucoup plus faible que l’empreinte carbone de la production de combustibles fossiles*.
*On parle de ‘combustible fossile’ pour désigner un combustible riche en carbone issus de sources non-renouvelables: le charbon, le pétrole (essence, diesel), le gaz. - Disponibilité
À l’échelle mondiale, les sources d’énergie renouvelables sont théoriquement toujours disponibles et « illimitées » au contraire des combustibles fossiles. - Production
Une fois le pétrole extrait, les combustibles fossiles sont disponibles. Ils sont nettement plus faciles et plus rapides à utiliser. La production des carburants synthétiques est coûteuse. - Prix
Le prix des carburants de synthèse est encore environ six à dix fois plus élevé que le prix des combustibles fossiles. Leur production en grande quantité permettrait de diviser ce prix par deux, pour un surcoût de 20 à 40 % à la pompe.
En termes de protection de l’environnement, le potentiel des carburants de synthèse est massif. Ils rendraient les transports plus durables. Christian Bach, notre expert en système de propulsion le corrobore. Il explique qu’il » y a trois possibilités pour décarboniser les transports: la mobilité électrique, la mobilité à l’hydrogène et les carburants de synthèse ». Bach complète qu’actuellement “c’est la combinaison de différentes approches qui s’impose pour pouvoir maîtriser le problème du CO2.”
Bach explique alors que l’ajout de carburants synthétiques à l’essence ou au diesel aurait un effet positif. C’est l’agrégation d’un effet individuel minime qui aura un impact. Il précise: « par véhicule, les économies de CO2 sont faibles en mélangeant par exemple 5 % de carburant de synthèse. Mais si tous les véhicules utilisent aussi des carburants synthétiques et émettent tous 5 % de CO2 en moins, l’effet est énorme ».
Carburants synthétiques versus motorisation électrique
Nous l’avons compris, Christian Bach est convaincu du rôle des carburants synthétiques pour maîtriser le problème global des émissions de CO2. Il ajoute, catégorique, que la mobilité électrique est essentielle: « On ne peut pas résoudre le problème des émissions de CO2 sans les carburants synthétiques ou sans la mobilité électrique. Il faut les deux ».
Vous trouverez ci-dessous compare les carburants de synthèse à la motorisation électrique pour présenter leurs principaux avantages et inconvénients.
- Source d’énergie
Les carburants de synthèse sont produits à partir de sources d’énergie renouvelable.
On recharge les voitures électriques avec de l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables ou non renouvelables. - Dépendance
Tant pour les voitures électriques que pour les carburants de synthèse, il existe des phénomènes de dépendance vis-à-vis de l’étranger:- la production des batteries nécessite des ressources rares comme le lithium ou le graphite. Quant à la fabrication des cellules des batteries, elle est fortement liée à la Chine et de l’Asie.
- les carburants synthétiques sont principalement importés de pays localisés dans ce qu’on appelle la ‘ceinture solaire’ (comme l’Australie, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord ou l’Amérique centrale et du Sud).
- Efficacité
Les véhicules à combustion fonctionnant avec du carburant de synthèse consomment trois à six fois plus d’énergie que les véhicules électriques (fabrication des véhicules exclue).
Dans les régions désertiques, le rayonnement solaire par mètre carré est deux fois plus élevé, ce qui permet de produire nettement plus d’électricité par mètre carré de surface photovoltaïque. Cela relativise un peu le mauvais rendement de la production des carburants de synthèse. - Infrastructure
Le nombre de bornes et de stations de recharge augmente sans cesse.
Il n’y a pas besoin d’infrastructure supplémentaire pour faire le plein et utiliser des carburants de synthèse. Il est possible d’utiliser les stations-service et les moteurs actuels. - Compatibilité
Les voitures électriques ont besoin de réseaux de distribution d’électricité performants. Dans de nombreux pays, l’infrastructure électrique ne peut pas être utilisée par les véhicules électriques sans une mise à niveau massive.
Les véhicules existants peuvent utiliser les carburants de synthèse. - Coût
Les carburants de synthèse sont largement plus chers que l’électricité.
Christian Bach souligne que « les carburants de synthèse ne sont pas en concurrence avec les voitures électriques. Ils permettent de se passer de carburants d’origine fossile dans les domaines où la motorisation électrique n’est pas (encore) utilisables ».
Les carburants synthétiques peuvent servir la décarbonisation de l’aviation et le stockage saisonnier de l’électricité en Suisse. « Si nous considérons uniquement le facteur coût et que nous comparons les carburants synthétiques aux voitures électriques, ils se situent à un niveau similaire. Les carburants synthétiques pourraient donc être introduits avec succès en appliquant les mêmes mesures que celles de la mobilité électrique », explique Christian Bach.
Quels sont les défis des carburants de synthèse?
La production et l’utilisation des carburants de synthèse sont encore carrément inefficaces.
Les défis auxquels nous faisons face en matière de carburant de synthèse:
- l’énorme perte d’énergie lors de la production,
- la perte d’énergie lors de la combustion: les moteurs à combustion (essence et diesel) ne sont pas idéaux,
- la perte d’énergie lors du transport de leur lieu de production à leur lieu d’utilisation,
- ils coûtent trop cher à produire comparés aux combustibles fossiles,
- ils ne sont pas disponibles sur l’ensemble du territoire,
- beaucoup d’électricité est nécessaire à leur production.
À quoi pourrait ressembler la production de carburants de synthèse?
Lorsqu’il parle de l’avenir des carburants synthétiques, Christian Bach reste optimiste, il souligne leurs avantages: « l’un des avantages des carburants de synthèse est qu’ils peuvent être produits et transportés quelque part dans la ceinture solaire. Nous disposons dans le monde d’immenses surfaces désertiques sur lesquelles on pourrait produire dix fois plus d’énergie que ce que le monde pourrait consommer ». Pour Bach, il est important que « les carburants synthétiques soient produits là où l’électricité n’est prise à personne » – et justement, ce serait tout à fait possible le long de ladite ceinture solaire. L’absence d’eau dans les déserts ne freine pas la production de carburants synthétiques car l’hydrogène est un sous-produit de l’extraction de CO2 de l’atmosphère. L’hydrogène est ensuite utilisé pour la production des carburants de synthèse.
Aujourd’hui, la production de carburants synthétiques perd 20 à 30 % d’énergie en raison des processus de transformation. La méthode de production des carburants synthétiques doit donc être optimisée afin d’être économiquement rentable et de produire plus de carburant. Par exemple, développer des nouveaux catalyseurs permettrait de réduire l’utilisation de matières premières coûteuses et de garantir un meilleur environnement électrique et chimique pour la production. De telles adaptations systémiques permettent d’obtenir des changements significatifs, explique Bach. À titre d’exemple, il explique encore que, dans le ‘démonstrateur de mobilité’, la chaleur résiduelle de l’installation d’électrolyse est utilisée pour l’approvisionnement atmosphérique en CO2, ce qui augmente ainsi l’efficacité de l’ensemble de l’installation.
Combien coûteront les carburants de synthèse?
Aujourd’hui, la production de carburants de synthèse coûte encore très cher. Mais n’est-ce pas le cas de toute nouvelle invention? Si nous considérons le développement de la mobilité électrique, on constate une grande évolution de prix. Christian Bach le résume: « les voitures électriques étaient cinq à huit fois plus chères que les voitures à combustion. Avec la production de masse, cela a nettement évolué dans le bon sens ». Si le développement des carburants synthétiques suit la même évolution, on peut s’attendre à des prix raisonnables.
Nous avons également interrogé Carl Berninghausen, de l’entreprise Sunfire. Il estime que nous pouvons nous attendre à du carburant synthétique au prix de 1,19 à 1,68 CHF par litre, selon, entre autres, la taille de l’infrastructure de production. Plus elle est grande, plus la production pourra être avantageuse. Évidemment, l’effet se ressentira sur les prix demandés aux consommatrices et consommateurs finaux. Tous ces projets n’en sont qu’à leurs débuts. Aujourd’hui, les installations de production de carburants synthétiques sont encore petites.
Que pouvons-nous attendre en matière de carburants de synthèse?
Quelle sera l’évolution des carburants de synthèse? Tout se résume à une question de coûts et de possibilité de revenus. Bach explique, lucide, « d’un point de vue technique, la plupart des aspects de la production des carburants de synthèse sont clairs. Nous savons comment le produire, combien de CO2 peuvent être économisés et combien cela coûte ». La législation représente aussi une difficulté. « Si la réduction de CO2 ne peut pas être comptabilisée, les entreprises ne produiront pas de carburants de synthèse. Ce processus peut durer longtemps. Il y a quelques semaines, l’Union Européenne a toutefois pris des décisions dans ce sens ». Il estime positif que l’UE prescrive l’utilisation d’un pourcentage minimum de carburants synthétiques, bien que cela ne soit pas encore financièrement intéressant. Il précise qu’il s’agit « de petites quantités prescrites, mais elles couvrent l’ensemble du marché ». Le marché de l’Union Européenne est énorme – voilà qui crée une situation intéressante pour de potentiels investissements.
Notre bilan: les carburants de synthèse à eux-seuls ne suffiront pas, mais ils constituent un rouage important dans le mix futur. Avec d’autres technologies alternatives, ils nous permettront d’atteindre les objectifs de protection du climat.
